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L'Amérique latine conteste Washington


Le Figaro.fr - Actualités

Par Patrick Bèle Mis à jour | publié Réactions

 

La lutte contre le narcotrafic au Mexique a fait 50.000 morts depuis 2006 alors que 90 % de la drogue consommée aux États-Unis transite par ce pays.

La lutte contre le narcotrafic au Mexique a fait 50.000 morts depuis 2006 alors que 90 % de la drogue consommée aux États-Unis transite par ce pays. Crédits photo : Julio Cesar Aguilar/AFP
 
À Carthagène, les chefs d'État latino-américains interpelleront Obama samedi sur la politique antidrogue des États-Unis et sur l'exclusion de Cuba des instances régionales.

Le sixième sommet des Amériques qui s'ouvre samedi à Carthagène en Colombie s'annonce délicat pour le président Obama, en campagne électorale pour sa réélection. Au programme de cette rencontre figurent deux sujets qui mettent Washington mal à l'aise: le trafic de drogue, avec ses conséquences sur la sécurité des pays d'Amérique centrale, et l'exclusion de Cuba des instances régionales. «Depuis l'abandon de la création d'une vaste zone de libre-échange continental à Mar del Plata en Argentine au quatrième sommet en 2005, Washington semble ne plus avoir le moindre projet pour la région», déplore Juan Gabriel Tokatlian, spécialiste argentin des relations internationales.

Lors du précédent sommet qui s'est tenu à Trinidad en 2009, Barack Obama, récemment élu, avait réussi à créer l'illusion que les États-Unis s'intéresseraient à nouveau à leurs voisins du Sud. «Nous sommes tous d'anciens colonisés», avait clamé le premier président noir des États-Unis sous les applaudissements. Hugo Chavez lui offrit le livre d'Eduardo Galeano, Les Veines ouvertes de l'Amérique latine. Mais le soufflé est vite retombé, d'abord avec la signature d'un accord sur l'utilisation de bases aériennes colombiennes par l'armée américaine qui a choqué tous les pays de la région. Ensuite avec le coup d'État au Honduras contre Manuel Zelaya qui a réveillé les soupçons d'interventionnisme de Washington.

Le trafic de drogues à destination des États-Unis a fait exploser les taux de criminalité ces dernières années en Amérique centrale faisant du Salvador, du Honduras et du Guatemala la zone la plus dangereuse du monde. San Pedro Sula, au Honduras, détient l'effrayant record mondial du nombre d'assassinats pour 100.000 habitants: 174 chaque année. La lutte contre le narcotrafic au Mexique a fait 50.000 morts depuis 2006 alors que 90% de la drogue consommée aux États-Unis transite par ce pays. Les bandes armées qui sévissent dans la région sont parfois nées aux États-Unis, comme les maras et utilisent des armes venant du Nord.

Un contexte défavorable

«Les camions entrent aux États-Unis pleins de cocaïne et ressortent avec des armes, déplore Georges Couffignal enseignant à l'Iheal (Institut des hautes études de l'Amérique latine). C'est une réalité qui a amené quelqu'un d'aussi prudent que le président mexicain, Felipe Calderon, à poser le problème de la légalisation de certaines drogues.» Juan Manuel Santos, son homologue colombien, lui a emboîté le pas en déclarant au Guardian en octobre dernier que «nous avons perdu nos meilleurs juges, nos meilleurs politiciens, nos meilleurs journalistes dans le combat contre les drogues». Pour lui, il est urgent de changer la stratégie de lutte contre le trafic de drogue car elle a totalement échoué, la production comme la consommation n'ayant jamais cessé d'augmenter depuis quarante ans.

«La proposition du président guatémaltèque, Otto Perez, de légaliser certaines drogues est tout sauf une provocation, estime Michael Shifter, président du think-tank Inter-American Dialogue. Si le président colombien Juan Manuel Santos et le président mexicain, Felipe Calderon, reçoivent des milliards de dollars d'aides de Washington, ils estiment que leurs sociétés civiles paient un prix démesuré à la lutte contre le trafic de drogue alors que c'est la demande nord-américaine qui stimule la production et le trafic».

Le contexte de ce sommet des Amériques est particulièrement défavorable pour le président américain. L'Amérique latine a montré qu'elle avait su se préserver des soubresauts des économies occidentales en développant ses relations avec l'Asie. La crise économique qui déstabilise aujourd'hui l'Europe et les États-Unis n'a eu que peu d'effets dans le sous-continent américain. Le Brésil, la nouvelle puissance régionale tant économique que diplomatique, a montré tout ce qu'il y avait à gagner à se départir de la tutelle nord-américaine.

L'agacement de Washington vis-à-vis de ce nouveau leadership brésilien était très visible lors de la visite de Dilma Rousseff, cette semaine, à Washington. Le président Obama n'a pas jugé bon d'organiser un dîner de gala en l'honneur de son homologue brésilienne comme il avait pu le faire récemment pour le premier ministre britannique, David Cameron. La visite du président iranien Ahmadinejad en Amérique latine et la proposition de médiation de Brasilia, en coopération avec la Turquie, sur la question du nucléaire iranien n'ont fait qu'attiser la méfiance que Washington exprime désormais vis-à-vis de ses voisins du Sud.

 


La Maison-Blanche ne veut toujours pas de Cuba

La scène aurait fait le bonheur des photographes mais elle n'aura pas lieu: Barack Obama ne rencontrera pas Raul Castro à Carthagène. Il ne rencontrera pas non plus le président équatorien, Rafael Correa, qui a décidé de boycotter tous les sommets des Amériques tant que Cuba en sera exclu. Correa avait essayé en février de mobiliser les pays de l'Alba, (qui réunit notamment le Venezuela, Cuba, le Nicaragua et la Bolivie) pour exiger la présence de l'île castriste au sommet. Il a essuyé un refus poli mais ferme de ses partenaires, particulièrement de Hugo Chavez peut-être plus préoccupé par son état de santé. Le président colombien s'est déplacé lui-même à La Havane pour prévenir Raul Castro qu'il lui était impossible de l'inviter au sommet car Washington s'y refuse. Raul Castro a reçu la nouvelle avec «compréhension et générosité», a expliqué le président colombien.

Tous les pays latino-américains demandent la réintégration dans les instances régionales de Cuba, qui fut exclu en 1961 de l'OEA (Organisation des États américains). Cette décision a été suspendue en juin 2009, mais pour une réintégration complète, Washington exige que Cuba respecte la charte des droits de l'homme de l'organisation signée, curieux hasard, le 11 septembre 2001. Ce sujet isole donc grandement les États-Unis sur le continent. Pour Michael Shifter cela s'explique par des «raisons de politique intérieure. À quelques mois de la présidentielle ou l'État de Floride joue un rôle crucial, le président Obama ne veut prendre aucun risque.»

Des gestes symboliques

Barack Obama a fait quelques gestes symboliques juste après le sommet de Trinidad comme lever les restrictions sur les transferts des résidents cubains aux États-Unis ou leurs déplacements dans l'île castriste. «Mais ce que veut l'ensemble des pays latino-américains, c'est une levée de l'embargo que tous considèrent comme un échec», rappelle Michael Shifter. Le président Santos a dit cette semaine que ce serait «le dernier sommet des Amériques sans Cuba». C'est une petite révolution.

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dimanche 15 avril à 06h11 par Acrerune dans Amérique Latine

 

fleurdatlas | 4/15/2012
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