Juan Gabriel Tokatlian.
Juan Gabriel Tokatlian. C
 
INTERVIEW - Juan Gabriel Tokatlian est directeur du département de sciences politiques et des études internationales de l'université argentine Di Tella.

Le Figaro.- Comment le thème de la dépénalisation de la drogue s'est-il imposé au sommet de Carthagène?

Juan Gabriel Tokatlian. -Ce sujet a fait l'objet de nombreuses prises de position ces derniers mois de la part des autorités régionales. Juan Manuel Santos, qui est l'hôte du sommet ce week-end, a déclaré en novembre dernier auGuardian: «Une nouvelle approche doit être choisie pour en finir avec les profits générés par le trafic de drogue… Si cela veut dire légaliser et que le monde pense que c'est la solution, je suis d'accord.» Son objectif est d'ouvrir un débat à Carthagène pour dresser le bilan de quarante ans de lutte contre le trafic de drogue. Cette guerre a eu un impact très négatif sur les populations.

Le crime organisé n'a jamais été aussi puissant grâce à la prohibition. Pour un résultat nul: la consommation n'a fait que progresser pendant les dernières décennies. Le président guatémaltèque Otto Perez, élu sur une politique de droite de mano dura, a expliqué en février vouloir discuter de la légalisation des drogues. Il est frappant que ce soient les présidents de droite et de centre droit, traditionnels alliés de Washington, qui lui demandent des comptes et l'ouverture du débat sur la question.

Sont-ce des vraies propositions de débat ou une provocation pour obtenir plus de ressources de Washington?

Je ne crois pas qu'il s'agisse de simples provocations. Pour le président Santos comme pour le président mexicain, Felipe Calderon, la politique de prohibition a échoué et ce sont leurs populations qui en paient le prix le plus élevé. Le président Obama peine à trouver une réponse à cette problématique. En pleine campagne électorale, il ne peut prendre aucune initiative. Pourtant le constat est incontournable: la politique de prohibition des drogues a échoué. L'objectif de Juan Manuel Santos est d'ouvrir le débat. Washington n'a pour l'instant qu'une réponse défensive. Washington a dit être disposé à écouter ses homologues latinos, mais seulement pour réaffirmer que les politiques actuelles ont eu d'excellents résultats et qu'il est important de continuer. Cela ne va pas changer l'attitude des États-Unis, mais cela donnera à ce débat une visibilité qu'il n'avait jamais eue. Si Washington se contente de défendre les politiques actuelles, la déception sera grande dans les pays latino-américains. Le président Otto Perez fait de vraies propositions comme par exemple de faire payer aux pays destinataires une contribution équivalente au prix du marché de la drogue saisie dans les pays centre-américains, de créer un tribunal pénal d'Amérique centrale pour les délits liés au trafic de drogue ou de dépénaliser l'usage de certaines drogues, deux mesures qui permettraient de désengorger la justice et les prisons de ces pays qui croulent sous la multiplication des affaires liées à la drogue.

Pourquoi les régimes de gauche comme le Nicaragua ou le Salvador ne s'associent pas à ces demandes?

Le Nicaragua veut se différencier du Guatemala. C'est le pays le moins violent de la région et il veut conserver l'aide qu'il reçoit des États-Unis. Le pays de Daniel Ortega a perdu beaucoup d'aides internationales, particulièrement des pays nordiques après les dénonciations de corruption et d'autoritarisme. En ce qui concerne le Salvador, le président Funes veut conserver de bonnes relations avec les États-Unis. Le président Obama a visité trois pays seulement lors de son seul voyage en Amérique latine: le Brésil, le Chili et le Salvador.

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